Les pionniers témoignent : le premier tertiaire de France – épisode 4

Dernier épisode du feuilleton exceptionnel pour les 10 ans de La Maison Passive avec 4 interviews de pionniers du passif français .

Cette semaine, l’épisode n°4 concerne le premier bâtiment tertiaire de France à Ronchin en région Hauts-de-France. Notre pionnier, Alexandre Pécourt, nous livre son témoignage.

Le premier tertiaire passif en France

Le pionnier : Alexandre Pécourt

Ingénieur thermicien, il a conçu et réalisé les études énergétiques pour le bâtiment de Ronchin (59). Il est le gérant de la société Energelio.

« La performance énergétique doit être intégrée à l’amont du projet. Lorsque nous sommes contactés pour intervenir en tant que Bureau d’Etude, j’aime à dire que nous sommes les architectes de l’énergie. Notre métier consiste à savoir concevoir et manager dans un contexte pluridisciplinaire.  »

LE BÂTIMENT : Siège de la société Adéo à Ronchin (59), Haut-de-France

Le projet a été conçu en 2010 par Blaq Architecture et la société Energelio. Les 10 900 m² de ce bâtiment tertiaire hors normes sont répartis en 263 bureaux, des salles de réunions, un restaurant et ses cuisines, une zone d’accueil et différents autres services.

Caractéristiques techniques :

  • GEA
  • Cair Plus
  • Ventilation à grand débit (10.000 m3/h) faible consommation et haut rendement obtenu grâce à une double roue (89%, spécifique 84% WRG)
  • Chaudière à gaz à condensation Hoval Ultragas90 de 125 Kw. Le chauffage est un sous-produit de la production d’ECS.
  • Panneaux solaires de 20mà 40° d’inclinaison produisant 11% du besoin ECS
  • Chaudière à gaz à condensation Hoval Ultragas90 de 125 Kw.
  • Récupération de l’eau de pluie

Retrouvez plus d’information sur la fiche en ligne sur la base de données des bâtiments.

Le témoignage du pionnier

Dans quel contexte est né ce projet de construction ?

« Dans un premier temps pour parler au client, nous avions volontairement exclu le terme « passif ». Nous voulions contourner les aprioris sur le prix au m2 et l’effet de mode entraîné par le terme passif. En 2007 le Maître d’Ouvrage (MO) souhaitait un bâtiment en avance sur son temps. La construction passive en ces termes, n’était donc pas spécifiée. Le MO souhaitait un bâtiment de type BBC. C’est notre équipe, en tant que Bureau d’Etude (BE) qui a travaillé pour construire en passif.

Notre vision de BE est de se placer en tant que concepteur énergétique et de jouer un véritable rôle de manager à la fois énergétique et environnemental.  Nous avions la priorité de mettre en œuvre toutes les composantes passives, à savoir, l’éclairage et le refroidissement naturel, un bâtiment lumineux, confortable et consommant très peu d’énergie.

A l’heure actuelle, les occupants sont très satisfaits du confort et de la consommation énergétique.  Ils ont comparés avec leurs anciens bureaux et se sont rendu compte de la qualité du bâtiment. »

Quels ont été les difficultés de ce premier projet tertiaire de grande envergure ?

Les menuiseries

« Le grand challenge de ce projet a été l’intégration de la grande verrière à même la structure du bâtiment. C’est à ce moment précis du projet que nous avons compris l’enjeu de toute la partie fenêtre. En tertiaire, la grande problématique à résoudre est celle de la conception des menuiseries. La fenêtre est véritablement l’élément clé pour favoriser tous les paramètres :

  • La plastique du bâtiment
  • La lumière naturelle
  • La déperdition
  • La qualité des vues
  • Les apports solaires

Mais de mon point de vue, en passif, tous les nœuds trouvent leurs solutions. »

Le paramétrage 

« Dans un premier temps, on a relevé des bugs sur le bâtiment. Aujourd’hui, un autre enjeu à prendre en compte reste le paramétrage des bâtiments. Un bâtiment de cette ampleur, est d’une complexité sans nom à débuguer ! J’ai fini par dormir sur place pour avoir la preuve qu’il y avait un dysfonctionnement dans les réglages informatiques et non dans la conception même de la structure. Il s’est avéré que le refroidissement de nuit ne fonctionnait pas car les ouvertures normalement configurées n’étaient pas opérationnelles.

Dans un projet tertiaire de ce type, il est préférable qu’une personne puisse vérifier les réglages et corriger les défauts au besoin. Mais en réalité, cette vérification ne se fait pas ou très peu. Surtout que dans un bâtiment tertiaire, de multiples couches se succèdent, entre l’ordinateur, le bâtiment, la centrale et les fenêtres (dont l’ouverture est gérée numériquement). Le conditionnement des installations est donc une pièce maîtresse dans la réussite et la finalité d’un projet passif. »

La ventilation naturelle

« La ventilation naturelle constitue un autre point de vigilance pour un bâtiment tertiaire. Sur la rue centrale, des cheminées s’ouvrent la nuit pour permettre un refroidissement de la structure. »

Comment ce bâtiment a évolué ?

« Il y a 10 ans, le choix des matériaux se faisait en prévention plus qu’en retour d’expérience. La performance en termes d’épaisseur était moindre en comparaison avec celle offerte aujourd’hui.

Par exemple, pour la toiture, nous avions installé 2 couches contre 1 couche nécessaire à cette heure. Sur les jardins, l’isolation sous les plantes a été réalisée avec 80 cm de billes expansées. Pour ce qui est des fenêtres, les intercalaires étaient composés d’aluminium; or, de nos jours, ils sont de composition synthétique. Les rendements des centrales de ventilation ont été installés en modulaire (c.à.d. en morceau) avec un échangeur, ce qui nous a paru insuffisant. Nous avons donc doublé l’échangeur avec une double roue de récupération pour palier au problème.  A l’heure actuelle, on fonctionne plutôt avec un seul système. »

Selon vous, le métier du passif est encore perfectible ?

« Au début, le passif bénéficiait d’un effet de mode. Avec l’apparition de nouveaux labels, Le HQE, les clients venaient à nous dans cette dynamique de suivre la tendance. De nos jours ce qui est vraiment plaisant, c’est d’être contacté par des clients pour l’efficacité et la qualité du passif.

En 10 années, on a évolué. On travaille considérablement sur les détails et la qualité des châssis. L’évolution notable reste la baisse des coûts sur les ventilations et les menuiseries. Ce qui en soi, est une bonne chose quand on veut démocratiser la construction passive. De notre côté, l’apparition des appels d’offres passifs nous a grandement facilité la vie!

De manière globale, on est passés d’une conception de structures passives de type maison individuelle au bâtiment tertiaire. Ce type de bâtiment prend de plus en plus d’ampleur. Ce qui est encore perfectible se situe autour de la communication avec le client. J’estime qu’on n’a pas de réel dialogue avec lui, ce qui complexifie les choses.  De même, on a encore du travail concernant la peur du surcoût des clients qui souhaitent un bâtiment performant.

De ce que j’ai pu observer, lorsqu’on se lance dans un projet passif, si toute l’équipe nourrit la même envie d’atteindre le standard passif, le projet se poursuit naturellement. Si cela résulte de la seule volonté du BE, cela ne fonctionne pas. Il est donc impératif de pouvoir compter sur l’architecte. La performance énergétique doit être intégrée à l’amont du projet. Lorsque nous sommes contactés pour intervenir en tant que BE, j’aime à dire que nous sommes les architectes de l’énergie. Notre métier consiste à savoir concevoir et manager dans un contexte pluridisciplinaire. »

Et pour terminer, qu’est-ce que vous aimez dans ce métier ?

« Cela peut paraître anodin ce que je vais dire, mais on sait faire des bâtiments sans chauffage !! C’est absolument incroyable !! C’est génial de faire ça !!!

Actuellement, on n’est plus au stade de l’expérimentation. Ça pourrait même être commun de construire passif. Il faut en bâtir de plus en plus ! Surtout que c’est simple, facile et efficace ! »

Vous pouvez retrouver les premiers épisodes de notre saga, sur le tout premier bâtiment passif de France, le premier bâtiment dans le Sud, ou encore la première rénovation passive.