Le passif à la conquête de l’Amérique du Nord

Le passif a fait une arrivée officielle et en fanfare à New York cette année, sous deux formes. La première, c’est le rapport de préconisation du maire de Manhattan, Bill de Blasio, qui souhaite baisser les émissions de CO2 de la ville grâce à la construction passive ; la deuxième, c’est le chantier de la plus haute tour au monde qui vient de démarrer à New York, sur l’île Roosevelt.

Mais pourquoi le passif, connu en Europe depuis 25 ans, a mis si longtemps à conquérir l’Amérique ? Pourquoi le passif a-t-il le vent en poupe aujourd’hui à New York ? Et qu’en est-il pour le reste du continent Nord-Américain ?

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La « graine » du passif a déjà germé une fois en Amérique, aux États-Unis et tout particulièrement dans l’état de l’Illinois. En effet, dans les années 70, les États-Unis connaissent leur premier choc pétrolier, qui pousse certaines personnes à penser autrement la consommation énergétique. C’est le cas de Wayne Schick, professeur d’architecture à l’université d’Illinois. Avec son équipe, ils mettent au point le prototype d’une maison, appelée « Lo-Cal » pour sa faible consommation calorifique, en 1976, très proche des pré-requis du futur label Bâtiment Passif.



Bâtie selon des données climatiques du Wisconsin (type continental humide), cette maison donne d’ailleurs naissance au terme de « superinsulation » (super isolation). L’équipe de Wayne Schick ayant repéré que les fuites d’air et les ponts thermiques étaient les principales causes du refroidissement des maisons, ils ont axé tous les travaux sur ces points pour obtenir une maison pouvant retenir la chaleur.
En utilisant des murs ayant deux caissons pouvant recevoir de l’isolant et, en conséquence, des quantités considérables d’isolants, ils créent l’ancêtre du Bâtiment Passif.
La maison « Lo-Cal » n’avait pas de ventilation naturelle, ce qui rendait difficile l’aération du bâtiment, surtout en période hivernale. Pour pallier ce manquement, l’équipe de Schick met au point le tout premier prototype de ventilation à récupération de chaleur.

Suite à la maison « Lo-Cal », plusieurs autres maisons et résidences seront bâties sur ce modèle pré-passif. Mais l’accession au pouvoir de Ronald Reagan en 1981 mettra cette expansion à l’arrêt. En effet, la première mesure du président fraîchement élu est l’arrêt du contrôle des prix du pétrole domestique, rendant sa popularité à l’énergie fossile. Faute de garder à l’esprit l’importance de l’efficacité énergétique, les avancées de Schick et de son équipe perdront rapidement en popularité.
Cette étude n’est pas totalement tombée dans l’oubli, car elle a servi de base à Wolfgang Feist, fondateur du Passivhaus Institut, pour bâtir le standard passif tel que nous le connaissons aujourd’hui.

Une autre des raisons qui ont ralenti l’arrivée du standard passif aux États-Unis est l’absence des matériaux et composants nécessaires à ce type de construction. En effet, dans les années 70, les membranes utilisées ne garantissaient guère l’imperméabilité de l’enveloppe des bâtiments. Au contraire : ils retenaient la vapeur d’eau et entraînaient en conséquence des moisissures très dommageables. D’autres composants essentiels à la construction passive manquent cruellement : châssis à triple vitrage, ventilation double flux… Pour les premiers Bâtiments Passifs américains, érigés entre 2006 et 2010, il a fallu importer tous ces composants depuis l’Europe. Le surcoût lié à la très haute efficacité énergétique de ces composants associé au surcoût de l’import forme un frein majeur dans le déploiement du passif sur le territoire.

L’une des dernières raisons de la lente assimilation du standard passif repose sur la manière dont il est enseigné, notamment en études d’architecture. Ken Levenson, président de l’Institut NY Passive House (New York Passive House) affirme : « Le standard passif est plus fort en Allemagne et en Autriche où se nichent les capacités techniques les plus abouties. De plus, les architectes et ingénieurs y baignent culturellement ». Il serait donc plus facile de faire du passif en Europe car la haute efficacité énergétique (et par extension, le passif) y est plus volontiers enseignée qu’aux États-Unis.

AUJOURD’HUI

Cela fait presque 10 ans que la construction passive a fait son apparition en tant que telle sur le sol des États-Unis. Elle arrive très timidement et sous la forme d’un bâtiment plutôt atypique : la Bio Haus, en 2006. Il s’agit d’une école de langue allemande et de biologie, bâtie sur les rives du lac Turtle River, dans le Minnesota.

La BioHaus reste le seul Bâtiment Passif des États-Unis jusqu’en 2010 où les prémices du boom actuel débutent. Ces bâtiments passifs, pour la plupart des maisons individuelles, poussent au travers des états, mais à des latitudes assez opposées : au Nord dans le Wisconsin et l’état de New York et au sud avec un foyer très dynamique dans le Nouveau Mexique.
À New York, le bâtiment passif acquiert une certaine popularité grâce à son triple vitrage qui a le mérite d’isoler du bruit de la rue mais aussi du climat rude (hivers froids, étés caniculaires) ; et la ventilation double flux n’est plus seulement appréciée pour sa récupération de chaleur mais pour l’action dépolluante qu’elle a sur l’air intérieur.

 

Si les États-Unis accusent un temps de retard en matière de construction passive, ils cernent rapidement le potentiel de la construction mais surtout de la rénovation passive. À Santa Cruz, la Midori Haus, construite dans les années 20 et rénovée au standard passif a permis de passer le cap du million de m² certifiés passifs. L’une des rénovations américaines exemplaires reste le brownstone de Brooklyn, vainqueur des Passive House Awards 2014, dans la catégorie « Rénovation », devenue une source d’inspiration locale.

Elle inspire tant et tant que Bill de Blasio, le maire de New York, en fait la base pour son étude « One City : Build to Last », publiée au printemps 2015. Dans ce rapport de préconisation qui vise à baisser les émanations de gaz à effets de serre produites par Manhattan, le Mayor de Blasio, comme on l’appelle à New York, prend un net appui sur le standard passif pour atteindre son objectif ambitieux : une réduction à hauteur de 80 % de CO2 d’ici à 2050.

Des associations, à l’instar de La Maison Passive, se sont créées aux quatre coins des États-Unis afin de faire connaître et certifier la construction passive localement. La première d’entre-elles, le PHIUS (Passive House Institute US) perd en 2011 le contrat qui la liait officiellement au Passivhaus Institut de Darmstadt. D’autres prennent le pas sur le devant de la scène nationale, par exemple le NY Passive House, cité plus haut, qui organise dès 2013 une conférence nationale similaire à notre Passi’bat annuel.

L’un des invités de l’édition 2015 de ce congrès était Sébastien Moreno-Vacca, ancien président de la Plateforme Maison Passive (l’institution de référence du passif en Belgique). Dans une présentation intitulée « Passivhaus, what else ? », Monsieur Moreno-Vacca revenait sur le chemin parcouru pour faire adopter en 5 ans le standard passif comme règlementation thermique dans la région de Bruxelles-Capitale. Un objectif à long terme que la ville de Manhattan se verrait bien mettre en application.
Le 11 juin 2015, à l’issue du Congrès du NY Passive House, diverses récompenses ont été remises et le « NY Passive House Hero Award » a été remis au maire Bill de Blasio pour son implication en faveur du développement du passif.
Le 16 de ce même mois, Bill de Blasio annonçait que New York hébergerait bientôt la plus haute tour passive au monde…

DEMAIN

Pas de demi-mesure aux États-Unis ! C’est en en mettant « plein la vue » que le passif a le plus de chances de s’imposer et l’administration new-yorkaise semble l’avoir bien compris.

La plus haute tour passive du monde s’élèvera en 2017 sur l’île Roosevelt (située entre Manhattan et le Queens). Il s’agit de la future résidence étudiante pour le campus de Cornell Tech, qui comprendra 352 logements, soit de quoi loger 2 000 personnes sur 185 000 m². La tour fera 26 étages, battant ainsi de 6 étages l’actuelle plus haute tour passive du monde, à Vienne.

Mais New York, épicentre évident de la construction passive en Amérique du Nord, ne se limite pas à quelques rénovations et une tour de 83 mètres de haut. Les bâtiments passifs poussent partout sur la Grosse Pomme, principalement en résidentiel et les logements passifs s’arrachent, comme en témoigne cet immeuble collectif de 8 étages à Brooklyn où les appartements faisant un étage entier furent vendus 4,9 millions de dollars (les appartements faisant un demi-étage n’étaient vendus que pour 2,45 millions de dollars, en comparaison).

Le résidentiel collectif trouve sa nouvelle terre promise à New York, que ce soit en neuf ou en rénovation. Le logement de demain y sera passif ou ne sera pas, comme en témoigne la multitude d’opérations prêtes à sortir de terre pour 2016 et 2017 : rénovation d’un immeuble de 40 logements à Brooklyn, construction d’un immeuble de 34 logements à loyers modérés à Perch Harlem dont la livraison a pris de l’avance et sera faite au printemps 2016…

Le passif fait aussi le bonheur des entrepreneurs et collectivités ayant pressenti le boom de ce mode de construction. C’est le cas de Steve Bluestone, de l’entreprise Bluestone Organization, qui chapeaute actuellement plusieurs opérations passives à New York, comme, par exemple, la résidence Beach Green North, dans le Queens, qui comptera 101 logements à loyers modérés répartis sur 8 étages, dont la livraison est prévue pour l’hiver 2016/2017. En parallèle, il suit le chantier d’un immeuble de 249 logements locatifs à Mont Vernon, dont le surcoût lié au passif est estimé à 1 % du total de l’opération.

Mais ses velléités de populariser le passif ne s’arrêtent pas là. Dans le cadre du programme « Build it Back », pour la reconstruction des bâtiments détruits par le passage de l’ouragan Sandy en 2012, il s’est engagé à reconstruire au standard passif des maisons détruites par l’ouragan à Staten Island.

Il témoigne de son envie de voir l’Amérique comme la nouvelle terre du passif, mais aussi un nouvel horizon économique : « Notre budget nous indique où nous allons et nous espérons nous y tenir. Le passif est déjà le standard de plusieurs pays européens pour la construction neuve et nous sommes en retard, mais j’ai l’impression que l’idée commence à prendre racine ici. »

Le passif fait également d’autres heureux avec son inertie thermique. C’est le cas des services sociaux de l’association HAMAC (Hellenic American Neighborhood Action Committee) qui a sauté dans le train du passif juste avant son démarrage pour construire sa maison de retraite. Le bâtiment, qui comptera 63 logements répartis sur 8 étages sera livré à l’été 2017. John Napolitano, directeur du développement communautaire du HAMAC témoigne : « Nous avons eu plusieurs pannes d’électricité, et pouvoir garder des personnes âgées dans leur logement durant ces périodes, dans un environnement où nous pouvons maintenir une constante thermique dans chacun des logements pour une période d’au moins cinq jours consécutifs, nous parle tout particulièrement. Nous pouvons le faire grâce à la construction passive. »

La responsable du projet de Cornell Tech, Arianna Sack Rosenberg, quant à elle, affirme : « Les efforts de la ville en matière de développement durable et d’efficacité énergétique vont sans aucun doute dans le bon sens, mais nous avons besoin de changement. Si le concept de construction passive prend, cela pourrait profondément changer la manière dont la règlementation de la construction est pensée ».

Bill de Blasio ne s’en cache pas : son ambition est de faire du passif la prochaine règlementation thermique de New York. La capitale française se montera-t-elle bientôt aussi ambitieuse que sa rivale new-yorkaise ? On ne peut que le souhaiter.