Énergie primaire non renouvelable Vs Énergie primaire renouvelable

Lorsque l’on construit un bâtiment, cela doit être pour des dizaines voire des centaines d’années.

Certains bâtiments très anciens voient leur source d’approvisionnement en énergie changer au fil des siècles, d’autres voient la performance de leurs enveloppes, fenêtres, chaudières évoluer au fil des règlementations thermiques.

La première méthode de prise en compte des facteurs d’énergie primaire dans le PHPP, également appelée énergie primaire non renouvelable ou EP, se base sur le mix énergétique actuel pour la conception de bâtiments neufs ou rénovés dont la durée de vie utile est de 50 à 100 ans. En d’autres termes, elle se basait sur notre présent énergétique fossile et nucléaire – aux rendements faibles (de 30 à 50%) pour concevoir les bâtiments qui s’inscrivent dans la transition énergétique.

Visualisez la conférence Passi’bat 2021 de Franck Janin sur le sujet :

La comptabilité de l’énergie primaire renouvelable, Ep-R, développée à l’occasion de la sortie du PHPP version 9 en 2015 propose un autre paradigme et nous invite à nous projeter dans un futur et hypothétique mix électrique, pour concevoir et construire dès aujourd’hui les bâtiments de demain. L’arrivée prochaine de la RE2020, a relancé le débat sur la valeur du facteur d’énergie primaire EP de l’électricité de 2,58 en France. Cet article ambitionne de caractériser deux visions du décompte des consommations et des productions d’énergie.

L’énergie primaire, une vision limitée au présent

Actuellement les réseaux électriques et tous leurs points de consommation (maisons, immeubles, usines etc…) sont alimentés par des points de productions ponctuels de haute puissance. On parle de production centralisée.

En France, cette production est majoritairement alimentée de combustibles nucléaires et fossiles que l’on trouve à l’état naturel dans l’enveloppe terrestre. Chaque étape (transformation en centrale, conversion, distribution) permettant de passer de l’énergie sous sa forme naturelle jusqu’à l’électricité consommé « à la prise » induit des pertes. Le facteur conventionnel de 2,58 utilisé en France est issu d’un consensus entre les acteurs professionnels et institutionnels. Il implique le postulat suivant : pour chaque kWh électrique final consommé à la prise il a fallu utiliser 2,58 kWh d’énergie sous sa forme primaire.

 

 

Facteur EP du PHPP : les limites

Dans le PHPP, le facteur EP est calculé de la manière suivante :

On notera que facteur EP de l’électricité ne tient pas compte de l’ensemble des énergies renouvelables du mix. Pourtant, celle-ci est une réalité du mix électrique français aujourd’hui, dans lequel la production d’origine renouvelable est en augmentation.

ÉNERGIE PRIMAIRE RENOUVELABLE OU EP-R : INDISPENSABLE ?

Dans le contexte actuel de réchauffement climatique, rappelons que pour rester sous la barre des 2°C d’augmentation de la température moyenne mondiale, il serait nécessaire de laisser sous terre plus de la moitié des réserves de combustibles fossiles.

Les facteurs Ep-R ont été développés et calculés en considérant que 100% de l’énergie produite est renouvelable. Ceci n’est pas le cas aujourd’hui, avec une part du renouvelable dans la consommation finale brute d’énergie en France de l’ordre de 17% en 2019. Même sans la certitude de la faisabilité d’un tel mix énergétique, cela reste cependant l’hypothèse fondatrice du concept de comptabilité en Ep-R.

 

Source : scénario négaWatt

L’association négaWatt, tout comme l’ONG Greenpeace et l’Ademe, ont chacune proposé des scénarios 100 % renouvelable pour 2050. En cumulant d’abord les efforts de sobriété et d’efficacité énergétique, le niveau de consommation d’énergie pourrait diminuer à tel point que des moyens de production uniquement d’énergie renouvelable permettraient d’assurer la totalité de la production. Dans un tel scénario, le vecteur gaz est conservé comme un moyen de stockage inter-saisonnier de l’excédent estival de production d’électricité d’origine renouvelable (cf. projet Power to Gas). Du fait de ses propriétés physiques, le méthane est un gaz bien plus facile à stocker que l’hydrogène. Il est synthétisé par hydrolyse de l’eau puis méthanation du dihydrogène.

Source : scénario négaWatt

A ce jour, le procédé complet pour ce stockage se fait avec un rendement d’environ 30%, avec également des pertes au moment de la reconversion du gaz en électricité.

NB : Saviez-vous que la très grande capacité de stockage du réseau de gaz français (134 TWh) rend envisageable un stockage inter-saisonnier ? A titre de comparaison, la faible capacité des centrales de pompage-turbinage françaises (0,4 TWh) permet un stockage et déstockage à court terme afin d’équilibrer le réseau pendant les heures creuses et pleines (Source : ADEME).

ET DANS LA VISION EP-R ?

Le facteur d’énergie primaire renouvelable (Ep-R) est un facteur de conversion conventionnel entre l’énergie consommée dans le bâtiment – appelée énergie finale – et l’énergie primaire pouvant être produite de manière renouvelable sur le bâtiment. Il met en lumière le fait que les ressources d’énergies renouvelables sont exploitables en quantité limitée et de manière intermittente. Voilà pourquoi les facteurs Ep-R sont toujours supérieurs à 1, notamment pour ne pas dépendre de conditions contextuelles ou climatiques locales (différence d’ensoleillement par exemple).

COMMENT SONT CALCULÉS LES FACTEURS EP-R ?

Rappelons tout d’abord que plus il faible et proche de 1, moins il y a de pertes, et donc meilleure est l’utilisation de l’énergie renouvelable produite (moins de pertes de transport, moins de stockage jour/nuit, inter saisonnier)

Les facteurs Ep-R se définissent comme suit :

Ce mode de calcul de la consommation d’énergie montre l’intérêt du facteur Ep-R, qui intègre la génération d’énergie renouvelable et s’appuie sur le postulat virtuel que les ressources en énergie sont à 100% renouvelables. Plus l’usage est instantané par rapport à la production possible, c’est-à-dire sans pertes de stockage, plus le facteur Ep-R se rapprochera de cette valeur 1. Un facteur Ep-R = 1 représente une production utilisée sur l’instant et qui n’engendre aucune perte ni de stockage ni de transmission.

Les facteurs Ep-R varient en fonction de l’usage qui est fait de l’énergie. A titre d’exemple, l’électricité consommée dans un climatiseur en été a plus de chance d’être produite instantanément avec une production par panneaux photovoltaïques, car il y a plus de disponibilité solaire l’été. Le facteur Ep-R pour usage de « refroidissement » est donc comptabilisé avec un facteur Ep-R bas (entre 1,1 et 1,3). A l’inverse, le facteur Ep-R de l’énergie pris en compte pour l’usage « chauffage » est plus élevé (entre 1,6 et 1,7) car le chauffage est nécessaire l’hiver quand l’accès à une production solaire photovoltaïque est plus rare ou issu du stockage inter saisonnier.

Les facteurs Ep-R résultent du rapport entre profil de production et les besoins. Toutes les régions du monde n’ont pas les mêmes climats, ni la même faciliter à produire / stocker de l’énergie d’origine renouvelable. Les facteurs EP-R sont donc également différenciés en fonction de la zone géographique du bâtiment.

LE STANDARD PASSIF : LA BASE DU SCÉNARIO 100% RENOUVELABLE

Pour le secteur du bâtiment, Sobriété et efficacité sont traduits dans le scénario négaWatt par les bâtiments nZEB (Nearly Zero Energy Building) – c’est-à-dire textuellement des bâtiments à énergie quasi-nulle (suite à la directive européenne sur la performance énergétique des bâtiments de 2010), pouvant être considérés comme des bâtiments couvrant quasiment tous leurs besoins par une production d’énergie locale. Les bâtiments Passif Plus et Premium s’inscrivent pleinement dans cette dynamique. Evalués autant sur la réduction drastique de la consommation d’Ep-R que sur l’augmentation de la production, ils s’appuient uniquement sur des ENR pour couvrir tous les besoins du bâtiment, voire pour que les bâtiments alentours bénéficient de la surproduction éventuelle.

NB : La surface de référence pour la production d’énergie renouvelable n’est pas la surface de référence énergétique (SRE) utilisée comme référence de consommation, mais la surface au sol (surface de l’enveloppe thermique projetée au sol). Cela traduit une volonté de ne pas pénaliser les bâtiments à plusieurs étages face aux bâtiments de plain-pied qui favorisent l’étalement urbain, lui-même contreproductif dans une logique de sobriété et d’efficacité énergétique urbaine.

La production d’électricité par panneaux photovoltaïques est généralement calculée par rapport à une surface habitable. A moins de couvrir les murs de panneaux, la production par m² habitable d’une toiture photovoltaïque diminue quand le nombre d’étages augmente, donnant ainsi un avantage aux bâtiments de plain-pied et causant un étalement urbain, contreproductif dans une logique de sobriété et d’efficacité énergétique. Ainsi la production d’énergie renouvelable du bâtiment est comptabilisée par rapport à sa surface au sol dans le PHPP.

Le premier bâtiment rénové en passif et labellisé EnerPHit Plus en France, Le Syndicat Départemental d’Energie et des Déchets de la Haute-Marne (52), c’est 39 kWh/(m²SRE.an) de conso d’Ep-R et 44 kWh/(m²SOL.an) de production d’ENR ! Cliquez ici pour en savoir plus.

 

Critères pour les différentes catégories du label.

La légitimité de ces catégories Plus et Premium réside dans la nécessité de diminuer la consommation des bâtiments avant même de parler de production. Pour passer d’un bâtiment Passif classique à Plus ou Premium, il faut dans un premier temps réfléchir à la diminution des besoins. Cela peut passer par la réduction du besoin de chauffage, et privilégier la pompe à chaleur comme source de production de chauffage et d’eau chaude sanitaire (facteur Ep-R plus bas).

NB : Une certaine marge de compensation est admise pour les labellisations de bâtiments classique, Plus et Premium. Pour la catégorie classique, on peut consommer un peu plus (jusqu’à 75 kWhEp-R/m²SRE.an) à condition d’avoir recours à une production d’énergie renouvelable. De même pour les catégories Plus et Premium, il est possible de produire un peu moins d’énergie que les valeurs de critères de production si le bâtiment consomme moins que les valeurs de critères de consommation. Le graphique ci-dessous donne un exemple de zone des critères, les lignes obliques orange et vertes matérialisent cette modularité des critères.

 

Les zones de critères de labellisation

LA BIOMASSE ET L’EP-R

On peut remettre en question l’ancrage dans le réel du facteur EP. Comme combustible bas carbone, le bois est virtuellement considéré dans le modèle de calcul du facteur EP comme étant renouvelable à l’infini, et ce indépendamment des quantités prélevées. Il est également considéré que tout arbre coupé sera replanté immédiatement. Est-ce vraiment réaliste ?

En effet, la quantité de biomasse accessible et utilisable est limitée par son stock et son temps de renouvellement, outre son intérêt majeur en tant que matériau de construction. Si elle est utilisée comme combustible dans un bâtiment, du fait de ce caractère stockable il est plus sensé de l’utiliser pour un usage hivernal comme le chauffage (avec cogénération alimentant une pompe à chaleur). La prise en compte de la finitude de la ressource dans le PHPP se fait par la mise en place d’un « budget » biomasse : les 20 premiers kWh consommés pour un usage alimenté par de la biomasse sont comptés avec un facteur Ep-R de 1,1. Pour les kWh supplémentaires, le facteur Ep-R passe à 1,75 (facteur du gaz renouvelable issue de la biomasse).

Au-delà des débats sur les émissions de CO2 de la biomasse, il convient de garder à l’esprit que le parti pris de l’Ep-R s’inscrit dans la perspective plus large d’un arrêt progressif de la consommation des combustibles fossiles. La biomasse présente l’avantage considérable d’un cycle court du carbone rendant possible un approvisionnement énergétique local (plus particulièrement des végétaux tels que le miscanthus, les taillis à courte rotation…).

SE PROJETER : COMPOSANTE ESSENTIELLE DE LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE

La construction d’un bâtiment est faite pour plusieurs générations. Il est toujours difficile d’imaginer les utilisations futures d’un bâtiment et pourtant, il est indispensable que les bâtiments soient résilients, adaptables et évoluant dans le temps. Une des clés de la transition énergétique réside bien dans l’évolution des mentalités, en particulier dans l’acte de construire.

Il y a 35 ans déjà, Gro Harlem Brundtland définissait ce que signifie le développement soutenable : « Un mode de développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. » Ce concept fait appel à la solidarité intergénérationnelle et nous invite donc implicitement à nous projeter dans l’avenir proche comme lointain.

Gro Harlem Brundtland

En effet, en tablant sur la concrétisation d’un réseau de production d’électricité renouvelable décentralisée à l’horizon 2050, tous les bâtiments construits ou rénovés dès aujourd’hui feront partie intégrante de ce réseau sur la majeure partie de leur cycle de vie. Le parti-pris par les facteurs Ep-R inscrit donc les bâtiments d’aujourd’hui dans un mouvement de transition énergétique par anticipation. Ils cherchent à minimiser leur besoin en énergie tout en cherchant à maximiser la production renouvelable in situ.

In fine, là où les facteurs EP représentent notre présent énergétique fossile et nucléaire, en considérant comme nulle la part renouvelable pour la biomasse, les facteurs Ep-R prennent en compte la finitude de ces ressources y compris de la biomasse, en lui attribuant une valeur et en fixant un quota annuel.

Concevoir et rénover des bâtiments selon les facteurs Ep-R dès aujourd’hui peut sembler incohérent, car 2050 semble loin, et nous ne sommes pas habitués à nous projeter à un horizon si lointain. Il est pourtant essentiel que les Bâtiments Passifs, qui représentent l’avant-garde de la performance énergétique, le soient également en termes de production in situ, pour que les générations futures puissent en bénéficier demain.

La méthode Ep-R, basée sur un futur possible (ou défini par une feuille de route avec 20 % d’Enr en 2020, 30 % en 2030, 50 % en 2050), est forcément une approximation, mais la méthode actuelle basée sur les énergies non renouvelables est quant à elle forcément fausse. De notre point de vue, les choix basés sur l’Ep-R au lieu de l’EP seront meilleurs pour notre futur.

 

Victor Hoppe, Maxime Cochais, septembre 2021, La Maison Passive France