Les pionniers témoignent : La première rénovation passive de France – épisode 3

Nouvel épisode du feuilleton exceptionnel pour les 10 ans de La Maison Passive avec 4 interviews de pionniers du passif français.

Cette semaine, l’épisode n°3 concerne la première rénovation passive de France, à Raon l’Etape, en région Grand-Est. Notre pionnier, Vincent Coliatti, témoigne.

La première rénovation passive de France

Le Pionnier : Vincent Coliatti

Ingénieur thermicien chez Terranergie, il a conçu et réalisé les études thermiques pour le bâtiment de Raon l’étape (88).

« 10 après […] nous sommes toujours dans la même démarche. Le passif permet de se poser des questions et d’évoluer. Notre vison est de faire les choses pour de bonnes raisons et non comme je l’ai souvent entendu dans le bâtiment, parce qu’on fait comme ça. »

LE BÂTIMENT : Rénovation d’un collectif à Raon l’étape, Grand-Est (88)

Ce projet a été conçu en 2010 par l’agence Architecture Création et le bureau d’études Terranergie, pour le maître d’ouvrage et bailleur social Le Toit Vosgien. Il est composé de 28 logements sociaux collectifs de type T3 et d’un centre périscolaire.

Caractéristiques techniques :

  • Menuiserie Bois de marque Minco ; modèle Extrem66, vitrage divers
  • Laine de bois Pare-Pluie (0,05)
  • Ouate de cellulose (0,04)
  • Aggloméré de béton
  • Laine de Verre (0.035)
  • Ventilation Double flux Helios type KWLC 1500 (logements) + Ventilation Périscolaire KWLC 820 (périscolaire) sur sonde CO2
  • Chaudière bois plaquettes de 100 kW (pour 3 bâtiments collectifs à 5 à logements)
    Collecteurs solaires (23,1 m²)
  • Eau chaude sanitaire Bois + Solaire
    bouclage et tuyauteries simple

Retrouvez plus d’information sur la fiche en ligne sur la base de données des bâtiments.

LE TÉMOIGNAGE DU PIONNIER

Dans quel contexte est née cette rénovation ?

Avant le projet de Raon, Vincent Coliatti avait déjà travaillé avec le bailleur le Toit Vosgien :

« Sur ce précédent projet, nous avions dans l’optique de faire du logement social en haut standing mais pas cher pour les locataires. Conséquence : du côté bailleur comme du côté locataire était né un apaisement. Les locataires occupaient de beaux logements avec de faibles charges et la majorité des loyers étaient par conséquent bien réglés avec des habitations bien entretenues. Chacun y trouvait son compte. Dans ce contexte favorable, les bailleurs ont acheté un foyer inoccupé pour en faire un bâtiment passif. »

Au départ, le projet est apparu comme complexe et comme une grosse contrainte (notons qu’à l’époque, le label EnerPHit n’existait pas encore). Vincent Coliatti constate une évolution entre les a priori des maîtres d’ouvrage à l’époque  et actuellement. Aujourd’hui la démarche est simplifiée, mais il reste encore du travail :

« En 10 ans, les choses se sont concrétisées. Maintenant, il nous suffit de proposer aux clients de visiter un projet pour convaincre. Mais nous sommes toujours dans la même démarche. Les personnes sont encore réfractaires quand ils ne connaissent pas le passif. C’est assez difficile de leur faire comprendre. »

Notre pionniers souligne un gros paradoxe. Sur 1 000 visites, une majorité des visiteurs expriment leur réticence. Il y a une méfiance qui persiste avec il semblerait, un blocage psychologique.

Comment ce bâtiment a évolué ?

Pour un meilleur suivi, l’équipe a choisi d’instrumentaliser le bâtiment. Les consommations se sont avérées assez stables. Avec le recul, on peut se saisir de certaines observations notamment au niveau des équipements. En effet, il y a eu un surdimensionnement :

« Nous pensions à l’époque que les locataires auraient du mal à atteindre les 20° mais en réalité, ils peuvent facilement chauffer jusqu’à 26 ou 27 °s’ils le souhaitent. »

De la même façon, au départ, le choix s’est porté sur des fenêtres en double vitrage car le coût des triples semblait trop cher. Pour réaliser au final que le triple vitrage coûtait autant que le double… Tout le bâtiment est maintenant en triple vitrage comme pour toutes les réalisations passives construites actuellement.

Un autre paramètre à prendre en compte reste le prix des équipements et leur investissement sur le long terme. Par exemple, le prix de la double-flux a baissé. Notre pionniers nous explique : « Nous ne sommes absolument plus dans la même fourchette de prix qu’il y a 10 ans sur ce type d’équipement. »

L’équipe Terranergie a également équipé le bâtiment d’un ascenseur spécifique qui récupère l’énergie dans la descente pour la redistribuer dans la montée. Il s’est avéré que cette installation ne valait pas son investissement :

« En effet, sur une année, nous pouvions compter seulement 30€ d’économie. Aujourd’hui nous savons que c’est un investissement que nous ne referions plus. »

Quels sont les enseignements que vous tirez de cette expérience ?

Des bonnes et des mauvaises pratiques émergent, notamment dans le bon dosage des solutions techniques :

« Il faut faire attention à ne pas demander des choses ingérables aux maîtres d’ouvrages, retient Vincent Coliatti. En collectif, le solaire thermique est pour moi inadapté.  Rendez-vous compte, en 6 mois, personne n’avait remarqué que les panneaux solaires ne fonctionnaient plus. Cette installation nécessite un suivi difficile à mettre en place en collectif car personne n’est désigné pour réaliser ce suivi.

Par contre, nous avons décidé de mettre des systèmes de récupération de chaleur sur les zones grises. Par exemple sur les eaux qui s’écoulent de la douche déjà chauffées (marque: Power Pipe) à l’inverse, ce type d’équipement ne demande pas de suivi. Il y a plus de facilités et plus de rendement. »

Selon vous, le passif est-il en mutation ?

Selon notre pionnier, le passif permet de se poser des questions et d’évoluer.

Pour lui, les BE fonctionnent encore comme dans les années 80, ce qui complique les choses avec des budgets incompatibles à la réalité du passif. « Je dirais que le métier réclame une évolution plus globale. Un BE thermique ne fera pas les mêmes choix s’il ne se base que sur ses calculs. Il faut aussi prendre en compte les contrats de maintenance ou d’exploitation qui impactent grandement le résultat final. »

En passif, il est nécessaire pour les BE de se rendre sur le terrain. Mais ces déplacements génèrent des coûts et ne sont pas toujours pris en comptes dans les budgets. En général, on compte 1 à 2 déplacements et non une dizaine comme il le faudrait. Chaque projet demande un ajustement et un suivi personnalisé.

« Pour moi c’est très bien mais très lent ! Certaines structures ont du mal à passer au passif car elles se basent sur des missions réduites. J’ai pu observer que plus d’échanges amènent plus de questions. Certains ne suivent pas pour cette raison. »

Vincent Coliatti nous livre sa vision de la solution : « Le passif réclame plus d’implication de tous les acteurs. Notre vison est de faire les choses pour de bonnes raisons et non comme je l’ai souvent entendu dans le bâtiment, parce qu’on « fait comme ça ». »

Vous pouvez retrouver les premiers épisodes de notre saga, sur les tous premiers bâtiment passif de France, ici . Le prochain épisode sera dédié au 1er bâtiment tertiaire en France…